LaughingCorpse

Méandres

Samedi 25 février 2012 à 13:49

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Jour de grève à la SNCF. Trains en retard voire annulés pour la plupart. Les voyageurs à cran, exténués, affolés, courent dans tous les sens. C’est la débandade. Un peu comme ce fameux passage du Roi Lion où, sous la poussée des hyènes, le troupeau de gnous s’agite, à la suite de quoi Mufasa meurt en sauvant Simba. Bref. Je m’excuse auprès de ceux qui ne l’auraient pas vu. Revenons à notre propre troupeau. Les trains qui circulent encore sont pris d’assaut par la foule grondante, tout le monde crie, hurle, pleure de rage, se bouscule. La courtoisie et la civilité sont allées se coucher, elles aussi en grève. On pense tout haut, les mâchoires serrées à en avoir des crampes « Je dois à tout prix monter dans ce train, il le faut ! ». Je vous épargne les grossièretés quoique parfois délicieuses d’inventivité. On s’entasse les uns sur les autres, serrés comme des sardines en boite, parqués comme des bêtes qu’on mène à l’abattoir. Vue de l’extérieur par une personne absolument pas concernée par ce problème de grève, la situation est certainement comique, les sadiques doivent se fendre la poire ! Le train est bondé, les passagers, un peu soulagés d’avoir une place, ne rechignent pas trop à l’idée de voyager debout. On s’installe, on s’organise. Solidarité. Fermeture des portes. Clac ! La mécanique s’enclenche et c’est parti pour un long, très long voyage. Le bruit des rouages est infernal, ça grince, ça couine, ça tangue de partout. Voila qui promet d’être agréable. Dans une brume léthargique, mon esprit dérangé s’égare et voila que mentalement je compare ce train aux trains de la mort. Je me demande l’espace d’un instant si ce train ne va pas être détourné pour nous mener je-ne-sais-où, vers un destin qui ne présage rien de bon. Totalement absurde je l’avoue. Privilégions plutôt le côté « wagons à bestiaux ». J’aime bien cette idée. Non pas celle d’être considérée comme du bétail, mais la métaphore du train qui mène à l’abattoir ou un endroit du même type, peu importe. Et si la Terre était contrôlée par une force extérieure sans que nous le sachions ? Peut-être sommes-nous manipulés comme des pantins ! Peut-être sommes-nous destinés à périr ! Peut-être notre extermination fait-elle partie du plan d’invasion d’une puissance supérieure ! Peut-être, peut-être…

Mais au final, rien de tout cela n’est vrai, juste les résultats d’une imagination délirante. Enfin…

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Samedi 25 février 2012 à 13:45

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Mon cœur est un funèbre cimetière, une funeste nécropole, où jamais le jour ne perce. On y accède par un gigantesque portail noir et grinçant, flanqué de part et d’autre de sinistres sculptures, aux contours rongés par les années.

Une petite fille rousse, à la peau pâle et aux yeux verts, se tient devant le portail. Elle ne porte aucune égratignure, aucune marque témoignant du long et pénible chemin qu’elle vient de parcourir, pour parvenir jusqu’ici. Sa robe blanche, lueur d’espoir au milieu des ténèbres, contraste avec la noirceur de mon cœur et semble l’illuminer. De sa frêle main, elle entrouvre le vétuste portail qui gémit. Elle s’avance dans l’allée principale puis s’interrompt. Sans ciller, elle contemple la vue qui s’offre à elle. De part et d’autre, des dizaines de pierres tombales, et parmi elles, d’impressionnants caveaux. Au centre du cimetière, une majestueuse fontaine en marbre, bordée d’arbres rachitiques, sur les branches desquels, trône un grand nombre de corbeaux. Pas un bruit ne trouble le silence, pas un souffle de vent. Rien.

La petite fille s’avance vers la rangée de tombes la plus proche. Elle tente de déchiffrer l’épitaphe inscrit sur la première, tout en laissant courir ses doigts sur la stèle glacée. A ce moment-là, quelque chose d’inattendu se produisit : la pierre tombale fut changée en un bosquet de roses rouges.

« Tiens, comme c’est curieux… »

Elle s’approcha de la tombe voisine et reproduisit les mêmes gestes. Un nouveau buisson de roses apparut. Il en alla de même pour chaque pierre tombale qu’elle toucha.

La vision mentale de toutes les inscriptions déchiffrées, depuis son entrée dans mon cimetière cardiaque, fit éclore sur son visage si neutre, une profonde tristesse. Chaque épitaphe évoquait une blessure subie par mon cœur, une remarque acerbe, un amour passé, la perte d’un être cher …

Poursuivant son chemin, elle marcha en direction des arbres et les effleura du bout des doigts. Leurs branches racornies se recouvrirent de feuilles et de beaux fruits à l’aspect alléchant. Les mausolées, quant à eux, se changèrent en statues aux courbes élégantes. Toutes représentaient des anges. Enfin, la petite fille se dirigea vers la fontaine. Lorsque sa peau entra en contact avec le marbre froid, la nécropole entière fut baignée de lumière, les ténèbres balayées. Plus la moindre petite trace du cimetière, comme s’il n’avait jamais existé. Les corbeaux s’étaient envolés, et à leur place chantonnaient des merles, des rouges-gorges… La petite fille sourit, satisfaite. Elle s’allongea sous un arbre, à l’abri des rayons du soleil et s’endormit.

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Samedi 25 février 2012 à 13:37

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Et ce fut l’explosion. Quelque part dans mon nez un de mes vaisseaux venait d’éclater, pour la troisième fois depuis le début de la semaine. A cette cadence là j’allais finir par me vider complètement de mon sang avant la fin du week-end. Tout juste le temps d’atteindre le lavabo que déjà mes mains rougissaient sous le flot ininterrompu de mon fluide vital. Un bout de mouchoir pris à la volée pour absorber le tout. Ploc, ploc, ploc, ploc. La même rengaine pendant cinq bonnes minutes au moins. Toujours avec la même intensité. J’épongeais encore et encore, tentative désespérée d’enrayer cette hémorragie. Je sentais avec le sang s’écouler ma chaleur, un peu plus à chaque goutte. Très vite une effroyable migraine s’empara de ma boite crânienne. Le fluide vermeil, lui, se déversait toujours. Je languissais, valsant au rythme des ploc ploc. Peut-être pas la meilleure chose à faire. Puis enfin, Dame Coagulation fit son apparition. J’étais au bord du malaise. Je respirai profondément et levai les yeux vers le miroir. Mon visage exsangue était balayé de traînées écarlates, mes pupilles écarquillées. Quant à mes mains… On ne distinguait même plus mes ongles sous la couche de sang. Je les regardai tressaillir avec fascination, sous tous les angles. On aurait dit qu’elles étaient peintes. Le fluide avait séché et la lumière mettait en relief le moindre détail de ma peau, comme des gravures. C’était un tableau vraiment curieux. De nouveau, cette impression de partir m’arracha à ma contemplation morbide. Je nettoyai mes mains, avec une pointe de regret et me dirigeai vers le réfrigérateur. J’avais besoin de reprendre des forces.

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Samedi 25 février 2012 à 13:30

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Autrefois j’avais été belle. Je ne parle pas de cette beauté stéréotypée qu’on voit dans les magasines, de toutes ces femmes retapées à coups de chirurgie plastique et de retouches informatiques. Non, je parle de la beauté naturelle. Je me sentais bien dans ma peau et ça se voyait. J’attirais les regards, aussi bien masculins que féminins. Même si je ne le disais pas, cette attention me flattait. Je menais une existence paisible, jusqu’à l’année de mes vingt-et-un ans.

A cette époque, mes cheveux étaient bruns, longs et bouclés, ma peau pâle, peut-être d’une pâleur excessive. J’ai tendance à penser que ma couleur de peau fût à l’origine de ma descente aux enfers, je ne me souviens plus très bien. Cette année-là je décidai d’essayer le bronzage aux ultra-violets. Le résultat fut assez réussi, sans néanmoins me satisfaire pleinement. Je retournai plusieurs fois par mois à l’institut, jusqu’à en devenir accro. Je n’étais toujours pas comblée. J’augmentai le nombre de mes séances à une ou deux fois par semaine. Je ne me rendis pas compte de l’erreur monumentale que j’étais en train de commettre. Je voulais trouver la teinte idéale mais ça ne suffisait jamais. Je ne remarquai pas l’usure qu’avait subie ma peau. Ce n’est que progressivement que je me suis rendue compte qu’elle se déshydratait, malgré l’usage de crèmes spécifiques. Après cinq ou six ans, elle avait pris l’aspect d’un vieux parchemin, si fragile qu’il menaçait de tomber en poussière à la première inadvertance. De profonds sillons parcouraient mon corps, mes seins étaient flasques et secs, comme rongés de l’intérieur. Je n’avais plus que la peau sur les os. Mes joues étaient creuses, faisant ressortir mes pommettes et mes yeux enfoncés dans leurs orbites. Ma silhouette entière devenait squelettique. Je me détestais, pleurant sur les horreurs que j’avais infligées à mon corps. Je perdis l’appétit et ne prenais même pas la peine d’avaler les médicaments qu’on me prescrivait. Les transformations encaissées étaient irréversibles. Pourtant, je n’avais pas le courage de m’ôter la vie. Je payais le prix de mes erreurs, c’était mérité. Je décidai de me couper les cheveux à ras, afin d’éviter d’être reconnue. Je ne pus néanmoins me résigner à rester enfermée chez moi. Je poursuivis donc mes promenades quotidiennes à travers Helsinki. Je ne supportais plus la lumière du jour, c’est pourquoi je sortais toujours couverte d’un long manteau noir muni d’une capuche si profonde, que lorsqu’on regardait à l’intérieur on ne distinguait pas mon visage. Une paire de lunettes de soleil protégeait mes yeux. Les enfants de la ville m’avaient surnommée la Faucheuse et les parents n’échappaient pas à cette habitude. Aucun mot ne pouvait décrire aussi bien l’état dans lequel je me trouvais. Quelques mois après avoir fêté mes vingt-huit ans, j’appris que j’étais atteinte d’un cancer de la peau. Je n’en fus pas le moins du monde étonnée. Je continuai à errer dans les rues d’Helsinki, attendant patiemment ma fin. Même si intérieurement je souffrais, je ne désirais pas précipiter mon trépas. J’allais et venais, fantôme dans la ville, m’effaçant un peu plus chaque jour, abandonnant sur ma route des lambeaux de visage et de corps. Je disparus un beau jour dans la solitude la plus totale. Je n’avais plus la force de sortir et compris que mon heure était venue. Ainsi mourut la Faucheuse d’Helsinki.

 

Esprit aujourd’hui libéré, me voila apte à vous conter mon histoire. Je suis apparemment devenue une légende à Helsinki. Les parents racontent à leurs enfants que s’ils ne sont pas sages, je viendrai les chercher. Qu’il en soit ainsi !

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Samedi 25 février 2012 à 13:23

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Je me taille et m’entaille, m’écorche et me dépèce, aux prises avec cette prison de chair qui résonne comme un étau. Je me démène, tandis que le torrent glacial de mes pensées petit à petit m’asphyxie et me noie. Flux après flux, je coule, submergée, dans les profondeurs abyssales de mes peurs les plus secrètes. La lumière n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. A mesure que je m’enfonce, mon enveloppe épidermique se détache, aussi légère qu’une plume, mon corps se met à nu. La caresse de l’eau sur ma chair à vif ne me suffit toujours pas…

De mes griffes acérées je détache par morceaux des blocs de muscles, de nerfs, de tendons. Mes os apparents se font lucioles dans cette obscure et irrémédiable déchéance. Mes organes s’éparpillent autour de moi et nous valsons, emportés dans une grotesque farandole. Le rythme, dans cet infini voyage nous entraîne, plus profondément encore. Puis arrive l’heure des au revoir, et chacun s’engage sur le sentier de sa propre destinée. La mienne n’a pas d’issue. Je ne suis plus qu’une carcasse luminescente dont les os se heurtent avec fracas contre les rochers qui daignent croiser leur chemin. Je sens les fêlures dans mon ossature, je sens les fêlures dans mon âme. Je viens de perdre mon tibia gauche. Mon cœur, déterminé, avec vigueur se cramponne au peu de vie qu’il lui reste, qu’il nous reste. Imbécile… Ne réalises-tu pas que tu vas crever, que tu t’échines en vain ! Non, bien sûr que non… Mu par l’infatigable credo qui prétend que l’espoir qui fait vivre tu tiens tête. Stupide tas de chair… Mon cerveau, nécrosé et éteint depuis un moment déjà, ballotte lourdement dans ma boite crânienne. Me ruant sur un bloc de pierre situé à ma droite, je me fracasse la tête. Voila qui est mieux ! Ma chute se poursuit toujours.

Toujours… Toujours.


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